L’histoire de l’église de Notre-Dame des Victoires de Tétouan s’inscrit dans le contexte religieux, artistique et politique du XIXᵉ siècle, marqué par la présence espagnole au nord du Maroc et par le renouveau de la dévotion mariale en Europe. Symbole à la fois spirituel et colonial, ce sanctuaire illustre la rencontre entre la foi catholique et l’art religieux européen au Maroc.
L’église Notre Dame des Victoires (Nuestra Señora de las Victorias) se trouve sur l’une des plus belles places de la Nouvelle Ville (El Ensanche) de Tétouan : la place Muley el Mehdi, alors connue sous le nom de plaza Primo de Rivera.
Les origines de la mission franciscaine à Tétouan
Fondée à l’origine par des musulmans andalous expulsés de Grenade (Espagne) au XVe siècle, la ville de Tétouan ne comptait aucun chrétien.
L’activité de corsaires aidant, les esclaves chrétiens de Tétouan issus des conflits maritimes et des affrontements entre puissances méditerranéennes furent de plus en plus nombreux. À partir du XVIIᵉ siècle, quelques missionnaires franciscains (entre autres) vinrent apporter secours spirituel et matériel aux captifs. Une église fût même consacré dans les grottes sous la ville leur servant de prison. La présence de, bien que sporadique, perdura jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle.
En 1859, lors de la guerre hispano-marocaine, Tétouan fut occupée par les troupes espagnoles. L’année suivante, les franciscains revinrent sur place pour assurer l’assistance religieuse aux soldats et aux civils espagnols.
Le 12 février 1860, le père José Antonio Sabater bénit le premier lieu de culte chrétien de la ville : le mausolée musulman de zauïa de Sidi ben Aïssa, transformée provisoirement en église sous le vocable de Nuestra Señora de las Victorias (Notre-Dame des Victoires).
Dans la tradition ancestrale de transformation des lieux de cultes d’une religion en une autre, de la Cathédrale de Séville en passant par Sainte Sophie à Istanbul par exemple.
Cette occupation, toutefois temporaire, fut bientôt remplacée par la construction d’un véritable édifice paroissial.
L’érection du premier sanctuaire
La première pierre de la nouvelle église fut posée le 19 novembre 1861, mais la lenteur des travaux retarda sa consécration jusqu’au 19 juin 1866. Ce temple de style sobre, édifié grâce aux efforts de la Mission franciscaine, servit de centre spirituel pour la communauté chrétienne et les troupes espagnoles.
Lorsque les autorités militaires se retirèrent en 1862, les franciscains transférèrent leurs activités dans le Mellah de Tanger (quartier juif), rue du Prado, où ils établirent une maison-église en attendant de retrouver un lieu définitif.
L’œuvre de Francisco Torras y Armengol
C’est dans ce contexte qu’apparut la célèbre peinture de Notre-Dame des Victoires, commandée en 1867 à l’artiste catalan Francisco Torras y Armengol par la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando de Madrid. Ce peintre, formé à Paris entre 1854 et 1859 et spécialisé dans l’art sacré, s’inspira probablement de la Basilique de la Vierge des Victoires à Paris, dont la dévotion était alors en plein essor.
L’œuvre, installée en 1868 dans le chœur de l’église de Tétouan, mesure 2,04 mètres de haut pour 0,93 de large. Torras y représente une Vierge sereine tenant l’Enfant Jésus debout sur un globe céleste, entourée de nuées et de chérubins portant des palmes, une branche d’olivier et une couronne de laurier — symboles de paix et de victoire.
À ses pieds s’étendent le détroit de Gibraltar, les colonnes d’Hercule et une vue stylisée de la ville de Tétouan, surmontée des armes de Castille et de León. Cette composition, à la fois mystique et géopolitique, incarne l’union du spirituel et du triomphe militaire espagnol au Maroc.
Le nouvel édifice du XXᵉ siècle
Dans le contexte de création d’un quartier espagnol à Tétouan, un nouveau projet fut confié dans les années 1920 à l’architecte responsable de l’agrandissement de la cité : Carlos Ovilo Castelo.
Il érigea une nouvelle église Notre-Dame des Victoires sur la place Muley el Mehdi, alors connue sous le nom de plaza Primo de Rivera.
Ovilo choisit un style néo-mudéjar, rare dans le nord du Maroc, inspiré des formes hispano-andalouses : arcs en fer à cheval, piliers polygonaux, chapiteaux végétaux et motifs de sebka rappelant la Synagogue Santa María la Blanca de Tolède.
Le temple fut inauguré solennellement par le roi Alphonse XIII et la reine Victoire Eugénie en octobre 1927. Le tableau de Torras y Armengol y fut transféré, et l’ancienne église reçut le titre de l’Immaculée Conception.
L’un des personnages historiques les plus coutumiers de l’église est Francisco Franco, le futur Général Franco. Avant de mettre à feu et à sang l’Espagne pendant la guerre civile espagnole, il lutta contre les indépendantistes marocains dans la région du Rif au sud de Tétouan. Pour l’anecdote, le premier discours de Franco pour annoncer le coup d’état a été prononcé dans la ville…
Carlos Ovilo Castelo réalisa aussi l’Ecole des arts et métiers nationaux de Tétouan (1er école des beaux arts du Maroc alors sous protectorat espagnol), le bâtiment de l’actuel Institut Cervantes, une partie des batiments autour de la place de l’église (place Moulay El Mehdi) et de nombreux immeubles d’El Ensanche.
Héritage spirituel et artistique
Jusqu’à la fin du Protectorat espagnol, l’église de Notre-Dame des Victoires demeura le principal lieu de culte chrétien de Tétouan, aux côtés du sanctuaire de Notre-Dame du Perpétuel Secours, situé dans l’hôpital espagnol.
Sur les hauteurs du quartier d’El Ensanche se trouve le cimetière espagnol de Tétouan, militaire et civil. Autant le premier a été rénové récemment grâce au ministère de la défense espagnol, autant le cimetière civil est dans un état de délabrement triste et scandaleux.
Aujourd’hui encore, la paroisse est administrée par les franciscains dépendant de l’archevêché de Tanger, perpétuant la mémoire de cette mission séculaire.
L’église continue d’être fréquentée par les communautés chrétiennes espagnoles, françaises et d’Afrique subsaharienne résidant dans la ville, et des cérémonies religieuses y sont toujours célébrées.
Au-delà de sa fonction religieuse, l’église abrite également un centre proposant des services sociaux, tels que des cours de couture, de cuisine et de langues.
Informations pratiques
L’église Notre Dame des Victoires se trouve dans le quartier de la Nouvelle Ville (El Ensanche) de Tétouan.
Adresse : Pl. Moulay El Mehdi, Tétouan, Maroc
Horaires d’ouverture : L’église est ouverte à la visite mais les horaires d’ouverture semble variable. Des messes sont célébrées tous les jours, le soir en semaine (à 19h en espagnol) et le dimanche dans la matinée (à 11h en espagnol et à 12h en français).
Site officiel : https://diocesistanger.org/parroquia-nuestra-senora-de-las-victorias/
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