Le commerce des esclaves à Tétouan illustre la complexité d’une économie méditerranéenne faite d’échanges, de conflits et de négociations.

Une mosaïque d’acteurs fit de Tétouan bien plus qu’un simple port corsaire : une ville carrefour, où s’exprimait toute la complexité du monde méditerranéen d’avant la modernité — entre foi, guerre et diplomatie.
- Les corsaires incarnaient la force maritime et l’autonomie politique de la cité.
- Les notables musulmans administraient le système au nom du sultan.
- Les familles juives y jouaient le rôle de passeurs culturels et économiques, liant les deux rives de la mer par leurs réseaux commerciaux et linguistiques.
Tétouan, port frontière et carrefour des mondes
Entre le XVIᵉ et le XVIIIᵉ siècle, Tétouan se situe au cœur d’une Méditerranée divisée : d’un côté, les royaumes chrétiens de la péninsule Ibérique ; de l’autre, le Maghreb musulman. Après la Reconquista, la prise de Ceuta (1415) et la chute de Grenade, la mer devint le théâtre d’une guerre permanente où corsaires et marins affrontaient galères espagnoles et portugaises.
Ville fortifiée, adossée au Rif et ouverte sur la mer, Tétouan joua un rôle crucial dans cet équilibre : base navale de Fès, refuge andalou, place d’échanges et de captifs.
Le commerce des esclaves chrétiens, issu des prises corsaires, y prit une importance économique et politique considérable.
Mais ce commerce n’était pas une activité unifiée : il reposait sur des réseaux multiples, où intervenaient des acteurs très différents — corsaires, fonctionnaires du makhzen, notables urbains, négociants juifs, diplomates européens et institutions religieuses.
Les corsaires tétouanais : soldats de la mer et entrepreneurs
Dès le XVIᵉ siècle, Tétouan s’impose comme l’un des principaux ports corsaires du Maroc avec Salé et Rabat. Ses marins andalous, souvent issus des familles réfugiées d’Espagne, menaient des expéditions en Méditerranée occidentale.
Ces corsaires n’étaient pas de simples pirates : ils agissaient avec l’autorisation du sultan (lettres de course), en temps de guerre ou de représailles contre les puissances ibériques.
Les prises réalisées — navires, cargaisons et captifs — étaient partagées selon un système précis :
- une part pour le sultan,
- une part pour les armateurs et les marins,
- et une part réservée aux intermédiaires chargés de la vente ou du rachat des prisonniers.
Les captifs, souvent espagnols, portugais ou italiens, étaient ensuite répartis entre les autorités, les mosquées ou vendus aux enchères dans des marchés réglementés.
La ville des captifs : un monde caché sous la pierre
Construite sur un socle calcaire, la Médina de Tétouan abritait dans les cavités naturelles un univers méconnu : celui des esclaves chrétiens.
Les chroniqueurs européens parlent de plus de 3 000 captifs détenus simultanément dans des conditions extrêmement dures.
Ils vivaient dans des grottes humides, taillant la pierre, réparant les fortifications ou travaillant aux ports.
Certains captifs appartenaient à des notables ou à des familles commerçantes, qui les utilisaient comme domestiques, artisans ou ouvriers. D’autres étaient réservés à la rançon, en attente de libération contre paiement.
Cette captivité, parfois très longue, engendra une véritable économie parallèle : rachat, correspondances avec les familles, transferts d’argent via les consulats chrétiens, et interventions des ordres religieux européens (Trinitaires, Mercédaires) spécialisés dans le rachat des prisonniers.
Les familles juives : médiatrices et négociantes
Dans ce système complexe, les marchands juifs tétouanais jouèrent un rôle essentiel de médiateurs entre le monde musulman et les puissances chrétiennes.
Installés dans le Mellah près du Palais, ces négociants parlaient souvent plusieurs langues — arabe, espagnol, portugais, hébreu — et disposaient de contacts dans les ports européens (Cadix, Livourne, Amsterdam).
Ils agissaient :
- comme intermédiaires dans les négociations de rançon, facilitant la libération des captifs contre paiement ;
- comme agents de change pour transférer les sommes entre familles européennes et autorités locales ;
- parfois comme intendants ou comptables pour les autorités corsaires.
Cette activité, tolérée et même encouragée par le pouvoir, reposait sur la neutralité commerciale des communautés juives. Elles occupaient ainsi une position diplomatique unique, capables de communiquer avec les deux mondes rivaux sans être considérées comme ennemies.
Les notables musulmans et le pouvoir du Makhzen
Le Makhzen — l’administration du sultan — percevait une taxe sur les prises corsaires et encadrait la détention des captifs.
Les notables tétouanais (oulémas, caïds, familles de marchands) jouaient un rôle d’arbitres locaux : ils contrôlaient les transactions, assuraient parfois la garde des prisonniers et administraient les revenus issus des rançons.
Certaines familles patriciennes firent fortune dans ce commerce, non par la vente d’êtres humains, mais par les commissions et services financiers liés au rachat. Cette richesse servit souvent à financer des œuvres pieuses : mosquées, fontaines, écoles coraniques.
Ainsi, à Tétouan, économie religieuse et économie de guerre se mêlaient intimement : la rançon d’un captif européen pouvait, indirectement, financer un minaret ou une madrasa.
Les réseaux du rachat : diplomatie et religion
À partir du XVIIᵉ siècle, le commerce des captifs donna lieu à un système diplomatique organisé.
Les consuls d’Espagne, de France et des Pays-Bas entretenaient à Tétouan des agents permanents chargés de négocier les libérations.
Les ordres religieux racheteurs (Trinitaires et Mercédaires) collectaient des fonds en Europe pour acheter la liberté des prisonniers.
Dans ce circuit, les intermédiaires juifs et les notables musulmans servaient de garants : ils rédigeaient les contrats, validaient les paiements et s’assuraient de la bonne exécution des échanges.
Ce commerce, à la fois tragique et codifié, s’inscrivait dans une économie méditerranéenne de la captivité, fondée sur l’idée que tout esclave pouvait être racheté — principe qui, paradoxalement, atténuait la violence du système tout en le perpétuant.
Le déclin du commerce des captifs
Au XIXᵉ siècle, la pression diplomatique européenne, les traités internationaux et la montée du commerce moderne entraînèrent le déclin progressif du système corsaire.
Les dernières captivités chrétiennes à Tétouan sont attestées dans les années 1820-1830.
Avec la pacification des relations entre le Maroc et l’Espagne, les anciennes prisons furent abandonnées ou transformées. Les familles juives et musulmanes commerçantes se tournèrent vers d’autres secteurs : importations européennes, artisanat, finance et échanges maritimes légaux.
Tétouan conserva toutefois la mémoire de cette époque. Ses récits, ses toponymes et ses légendes portent encore l’empreinte d’une ville où la liberté et la captivité s’entremêlaient, reflet d’une Méditerranée troublée mais profondément connectée.
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