Après les destructions de la guerre, il fallait tout reconstruire. Les nouvelles autorités, sous domination soviétique, mettent en oeuvre leur vision de la ville: son architecture doit refléter l’idéologie marxiste.
Un nouveau style est né, c’est le “social réalisme”. Staline likes this. On l’impose à toutes les nations “soeurs” de l’URSS. Ce nouveau style englobe architecture, design, urbanisme et toute forme de création artistique, qui doivent toutes désormais être “socialistes dans leur contenu et nationales dans leur forme” et refléter les valeurs du travail, de la tradition et du mouvement des travailleurs.
Ainsi, entre 1948 et 1956, ce fut l’unique style architectural autorisé à Varsovie, qui est dès lors devenue la meilleure ambassadrice de ce curieux courant. Il suffit de se balader dans les espaces urbains de MDM ou du Palais de la Culture, tous décorés de monumentales sculptures à la gloire des paysans ou des ouvriers…
Une vision imposée
On peut ne pas vraiment aimer les volumes imposants et les dérives idéologiques de ce style, mais on peut lui reconnaître un certain mérite dans son objectif de modernité et de confort pour tous dans une Varsovie en ruine.
L’exemple le plus marquant de ce style est bien entendu le Palais de la Culture, cadeau de Staline à la nation polonaise. Tout autour de cet ensemble, des bas-reliefs et d’imposantes statues de corps en action, faucille ou marteau à la main. Juste à côté, le Plac Defilad, soit la place des défilés. Aujourd’hui grignotée par l’urbanisation galopante de la ville, elle fut jadis l’endroit de toutes les parades et évènements de propagandes du régime.
Un des premiers ensemble social-réaliste d’après-guerre est celui du quartier de Muranow. Il a été construit sur l’ancien quartier juif, dont il ne restait plus rien – ni habitants, ni habitations. Je dis “sur” le quartier, car on construit directement sur les gravats, vu que tout a été méticuleusement rasé durant la guerre.
Les arches et entrées de cours monumentales, telles que sur la ul. Andersa, sont caractéristiques de ce type de “paradis ouvrier”.
D’autres bâtiments administratifs, éparpillés dans la ville, arborent ces façades austères et rectilignes, comme l’actuel Ministère de l’Economie, sur la pl. Trzech Krzyży, ou l’ancien siège des autorités communistes – aujourd’hui un Centre Bancaire et Financier, oh ironie! – sur Nowy Świat, près du rond-point de la Palme.
Un urbanisme néanmoins réfléchi
L’exemple le plus ambitieux de ce style est sans conteste MDM, dans le quartier Śródmieście Sud.
Le MDM – pour Quartiers d’Habitation Marszałkowska – était présenté comme le fleuron de la reconstruction de Varsovie, mais en réalité, c’était une vaste opération de modification du territoire urbain. En effet, il a été construit sur un des quartiers les moins abîmés par la guerre, et on a rasé de nombreuses belles maisons de maître et demeures bourgeoises intactes pour faire place à cette nouvelle vision de l’habitat plébéien. Une manière comme une autre de peupler le centre-ville d’ouvriers plutôt que de nantis.
On a même modifié le tracé de l’avenue Marszałkowska pour que sa perspective ne débouche plus sur l’église du Saint-Sauveur, mais sur la place de la Constitution, centre névralgique de cet imposant projet urbain. Vous trouverez dans ce coin un foule de statues et bas reliefs mettant en scène les “masses révolutionnaires”, dans des rues aux façades inspirées du baroque ou de l’architecture parisienne.
Le projet MDM était initialement plus ambitieux et vaste, mais le manque de moyens et de matières premières a eu raison des plans initiaux. Aujourd’hui, il reste surtout un ensemble urbain unique en son genre. Il y a peu de grandes villes – et encore moins de capitales – qui ont pu appréhender l’urbanisme à une si grande échelle, en partant du néant, et en pensant d’abord à Monsieur Tout le Monde.
Sur le papier, ça avait l’air top. Les appartements devaient tous avoir le chauffage central, l’eau chaude, des ascenseurs, des laveries. Autour il y devait y avoir des crèches, des écoles, des cliniques, des théâtres et cinémas, une piscine couverte. On prévoyait déjà la construction du métro. Le projet ne fut pas mené à son terme, et finalement, c’est mieux ainsi, mais une balade entre les colonnades de la Plac Konstytucji gardera toujours une saveur particulière: celle d’une ère révolue.
Valérie Collec-Clerc
14 Fév 2018Merci pour ce joli rendu sur la ville de Varsovie que j’ai visité plusieurs fois, ayant la chance d’étudier l’histoire de la Pologne contemporaine et de cette ville ainsi que la langue polonaise lors d’un long séjour Erasmus (un an) à Francfort sur l’Oder. A présent l’héritage social-réaliste est fortement remis en question. Et la question se pose de savoir, si l’on doit détruire des monuments à présent entrés dans l’histoire, même s’ils évoquent pour les habitants un passé douloureux. Varsovie pour moins c’est un enchevêtrement entre des vieux immeubles de l’époque socialiste, des grattes-ciel ambitieux, d’imposants centre commerciaux, une vieille ville certes reconstruit mais dans la reconstruction est elle-même un fait historique.
Maciej
15 Fév 2018Merci pour votre commentaire Valérie. Il y a comme souvent en Pologne une forte polarisation entre celles et ceux qui reconnaissent le caractère historique du social réalisme (ou du modernisme) et ceux qui souhaiteraient réécrire continuellement l’histoire… Dans le meilleur des cas, d’anciens palais classiques détruits pendant la guerre ou après sont reconstruit à l’identique (ou presque) en lieu et place de bâtiments social-realistes peu inspirés. Malheureusement parfois des lieux emblématiques du Varsovie d’après guerre finissent détruits pour faire place aux appétits des promoteurs immobiliers avides d’un Varsovie aux faux airs de Manhattan.